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Grands brûlés : quels impacts psychiques ?

 

En France, chaque année, environ 500 000 personnes requièrent des soins médicaux à la suite de brûlures. Parmi elles, approximativement 10 000 sont hospitalisées en raison de la gravité de l’atteinte cutanée (Wassermann, 2002). Grâce aux progrès médicaux réalisés dans la réanimation et dans la chirurgie reconstructrice, le taux de mortalité des grands brûlés a considérablement diminué au cours des cinquante dernières années pour atteindre un taux d’environ 2% (Lee et al., 2014 ; Ravat et al., 2008). Cependant, les brûlures que nous qualifierons de graves, en empruntant la terminologie de Wassermann (2002), et leur traitement, figurent parmi les expériences les plus douloureuses et dévastatrices qu'une personne puisse rencontrer (Anzieu, 1985 ; Wiechman et Patterson, 2004).

Soins somatiques de la brûlure et troubles psychiques

Les conséquences psychiques de brûlures graves sont de natures différentes dans les trois temps du soin des personnes brûlées (Wiechman et Patterson, 2004).

Durant la phase critique de réanimation, la priorité est donnée à la survie du corps. Incertitudes sur les conséquences de la brûlure, lutte pour la survie, isolement en chambre stérile et environnement stressant des soins intensifs peuvent occasionner confusion, désorientation voire des réactions psychotiques brèves.

Puis, lors de la phase aigüe, les soins de réparation cutanée - greffes de peau, prises de greffes, changement des pansements - sont extrêmement douloureux. De plus, les patients commencent à prendre conscience de l’ampleur de leurs blessures. Cela peut provoquer une forte détresse psychique. Elle peut se manifester par des troubles du sommeil, un trouble de stress aigu dans le premier mois suivant la brûlure ou encore un trouble de stress post-traumatique après un mois. Cette dernière psychopathologie présente un taux de prévalence chez les patients brûlés bien plus important que dans tout autre type de blessure (cf. infra). 

Un travail de deuil peut commencer dans cette phase, le deuil de la vie d’avant avec la prise de conscience que le patient ne retrouvera pas son apparence, sa mobilité ni ses aptitudes physiques préalables.

Enfin, le rétablissement à long terme commence après la sortie de l’hôpital, avec une phase de réadaptation physique pour les patients les plus sévèrement brûlés, et une réintégration progressive dans la vie sociale. Durant cette période, les sources de détresse sont nombreuses. Les difficultés physiques sont manifestes en raison de la douleur, notamment de la rééducation, du prurit incessant et du manque d’ampleur articulaire lié aux rétractions cutanées. À cela, s’ajoutent d’éventuelles amputations.

Sur le plan psychologique, le patient brûlé doit faire face au changement de l’image de son corps, à l’altération de la vie quotidienne et à des reviviscences de l’événement ayant provoqué la brûlure.

Cette dernière phase présente donc un défi majeur pour les victimes de brûlures graves. Elle augure d’une transition sur une vie à long terme où les conséquences de leurs brûlures engendrent d’importantes « répercussions psychiques et sociales » (Wassermann, 2002, p. 66).

Répercussions psycho-sociales à long terme de la brûlure

Sur le long terme, la brûlure grave a un impact important aux niveaux à la fois physique et psychologique, affectant la qualité de vie des personnes qui en sont victimes (Kool et al., 2017). En effet, les séquelles de brûlures graves portent atteinte à la santé, aux capacités fonctionnelles et à l’apparence des sujets brûlés, ce qui rend difficile leur réintégration à la société (Gilboa, 2001).

De nombreuses altérations fonctionnelles chroniques impactent la qualité de vie des personnes brûlées : limitations articulaires liées aux rétractions cutanées, cicatrices hypertrophiques, fatigabilité, amputations éventuelles, œdème, intolérance à la chaleur et au soleil, fragilité et tensions cutanées…

Sur le plan émotionnel, l’ajustement à la vie quotidienne, avec le stress qui lui est inhérent, est obéré par le seuil altéré de réactivité des personnes brûlées face aux stimuli aversifs (Taal et Faber, 1998). Au niveau cognitif, les personnes brûlées évoquent des problèmes de concentration, des troubles de la mémoire et des difficultés dans les activités multi-tâches (Kool et al., 2017 ; Mathers et al., 2020).

Mais ce qui fait avant tout la spécificité de la brûlure, c’est l’altération majeure de l’identité qu’elle provoque (Mathers et al., 2020). La brûlure constitue en effet une attaque contre la peau, cette barrière symbolique entre le monde intérieur et le monde extérieur de l’individu qui assure son intégrité psychosomatique (Anzieu, 1985). Cette attaque a des répercussions à long terme puisque les séquelles cicatricielles de brûlures dégradent brusquement et définitivement l’apparence physique des sujets brûlés et par conséquent, leur identité (Gilboa, 2001 ; Mathers et al., 2020).

Dès lors, insatisfaction et mal-être corporels sont des symptômes clés chez les sujets brûlés (Cavaleri et al., 2009). De nombreuses victimes de brûlures expriment en effet une préoccupation pour leur apparence physique, qualifiant leurs cicatrices de laides et repoussantes. S’ensuivent une perte de confiance, un sentiment de vulnérabilité voire de honte (Brewin et Homer, 2018).

L’évaluation négative portée par les personnes brûlées sur leur apparence physique affecte négativement leur vie sociale (Brewin et Homer, 2018). En effet, dans une société qui attribue une haute valeur à la beauté, les personnes porteuses de cicatrices visibles de brûlures éprouvent peur du rejet, baisse de l’estime de soi et sentiment d’humiliation face à des regards insistants (Gilboa, 2001). Elles se sentent également stigmatisées (Kool et al., 2017). Dès lors, la visibilité des cicatrices devient une barrière à la relation interpersonnelle. De fait, on relève chez les sujets brûlés une tendance à l’isolement ainsi qu’une anxiété face à l’intimité (Jones et al., 2017 ; Kool et al., 2017 ; Mathers et al., 2020).

Au-delà de ces répercussions psychosociales, la personne brûlée peut être affectée par une ou des psychopathologies.

Psychopathologie après la brûlure

Pour van Loey et van Son (2003), la psychopathologie est une conséquence majeure des brûlures graves. 

Dans leur revue de littérature, ces auteurs relèvent, chez des personnes brûlées, des taux de prévalence de trouble de stress-post-traumatique allant de 15% à 45% un an après la brûlure. L’étiologie du trouble de stress post-traumatique réside souvent dans l’événement ayant provoqué les brûlures (accident, agression…) mais les soins, dans les trois phases mentionnées supra, entretiennent eux-mêmes un stress majeur (Gilboa, 2001).

Les troubles dépressifs se manifestent également chez 13% à 23% des personnes brûlées un an après l’événement (van Loey et van Son, 2003). L’insatisfaction de l’image du corps joue un rôle majeur dans le développement et le maintien de la détresse psychologique après la brûlure. Huang et Su (2021) constatent en effet une corrélation positive entre l’insatisfaction de l’image du corps et les symptômes dépressifs.

Enfin, une prévalence de 35% d’anxiété généralisée est constatée par van Loey et van Son (2003) chez des victimes un an après leurs brûlures.

Troubles psychiques, une fatalité ?

Pour van Loey et van Son (2003), si la psychopathologie est une conséquence majeure des brûlures graves, elle n’est pour autant pas universelle. Le fait d’avoir survécu à la brûlure permet de renouer avec l’appréciation de la vie et de prendre conscience de ses forces et de sa résilience (Cockerham et al., 2016). 

Plus de la moitié des patients brûlés attribuent un caractère positif à leurs cicatrices qui représentent le souvenir de leur capacité à survivre à l’épreuve de la brûlure (Brewin et Homer, 2018). Certaines études vont jusqu’à montrer que les victimes de brûlure peuvent expérimenter une croissance post-traumatique (Baillie et al., 2014). 

Quels soins psychologiques pour les grands brûlés ?

En cas de psychopathologies consécutives à de graves brûlures, les psychothérapies adaptées aux troubles diagnostiqués sont recommandées (cf. articles sur le trouble de stress post-traumatique et sur les troubles anxieux).

Par ailleurs, les séquelles cicatricielles de brûlures exigent une activité de réappropriation de l’image corporelle et donc, de l’identité du sujet brûlé (Cavaleri et al., 2009 ; van Loey et van Son, 2003). Un travail d’ajustement de la victime de brûlures graves à sa nouvelle apparence peut être entrepris au cours d’une démarche psychothérapeutique. 

Enfin, Baillie et al. (2014) suggèrent le développement de stratégies interventionnelles visant le développement de la croissance post-traumatique chez les victimes de brûlures.

 

 

Références

Le présent article est une adaptation d’un extrait du Mémoire présenté par Dominique Rachel LEVY pour l’obtention du grade de Master 2 de Psychologie Clinique, Vulnérabilités et Développement du Psychotraumatisme : « Effets d’ateliers d’écriture thérapeutique sur la croissance post-traumatique : étude pilote auprès de victimes de brûlures » qui peut être téléchargé ici.

Anzieu, D. (1985). Le Moi-peau. Dunod.

Baillie, S., Sellwood, W. et Wisely, J. (2014). Post-traumatic growth in adults following a burn. Burns, 40(6), 1089-1096. http://dx.doi.org/10.1016/j.burns.2014.04.007

Brewin, M. P. et Homer, S. J. (2018). The lived experience and quality of life with burn scarring—the results from a large-scale online survey. Burns, 44(7), 1801-1810. https://doi.org/10.1016/j.burns.2018.04.007

Cavaleri, V., Epifanio, M. S., Benigno, A., Conte, F. et Di Pasquale, A. (2009). The attack on psychosomatic integrity: A study of the psychological sequelae of burn trauma. Annals of burns and fire disasters, 22(2), 83-87.

Cockerham, E. S., Cili, S. et Stopa, L. (2016). Investigating the phenomenology of imagery following traumatic burn injuries. Burns, 42(4), 853-862. https://doi.org/10.1016/j.burns.2016.02.018

Gilboa, D. (2001). Long-term psychosocial adjustment after burn injury. Burns, 27(4), 335-341. https://doi.org/10.1016/S0305-4179(00)00125-X

Huang, Y. K. et Su, Y. J. (2021). Burn severity and long-term psychosocial adjustment after burn injury: The mediating role of body image dissatisfaction. Burns, 47(6), 1373-1380. https://doi.org/10.1016/j.burns.2020.12.015

Jones, B. A., Buchanan, H. et Harcourt, D. (2017). The experiences of older adults living with an appearance altering burn injury: an exploratory qualitative study. Journal of health psychology, 22(3), 364-374. https://doi.org/10.1177/1359105315603473

Kool, M. B., Geenen, R., Egberts, M. R., Wanders, H. et Van Loey, N. E. (2017). Patients’ perspectives on quality of life after burn. Burns, 43(4), 747-756. https://doi.org/10.1016/j.burns.2016.11.016

Lee, K. C., Joory, K. et Moiemen, N. S. (2014).History of burns: the past, present and the future. Burns & trauma, 2(4), 2321-3868. https://doi.org/10.4103/2321-3868.143620

van Loey, N. E. et van Son, M. J. (2003). Psychopathology and psychological problems in patients with burn scars. American journal of clinical dermatology, 4(4), 245-272. https://doi.org/10.2165/00128071-200304040-00004

Mathers, J., Moiemen, N., Bamford, A., Gardiner, F. et Tarver, J. (2020). Ensuring that the outcome domains proposed for use in burns research are relevant to adult burn patients: a systematic review of qualitative research evidence. Burns & trauma, 8. https://doi.org/10.1093/burnst/tkaa030

Ravat, F., Latajet, J., Lebreton, F., Le Touze, A. et Perrot, G. (2008). Rapport annuel concernant l’épidémiologie de la brûlure en France métropolitaine. Année 2008. http://www.sfb-brulure.com/index.php/documentation/epidemiologie.html

Taal, A.L. et Faber, A.W. (1998). Posttraumatic stress and maladjustment among adult burn survivors l-2 years postburn. Burns, 24(4), 285-292. https://doi.org/10.1016/S0305-4179(98)00030-8

Wassermann, D. (2002). Critères de gravité des brûlures. Épidémiologie, prévention, organisation de la prise en charge. Pathologie Biologie, 50(2), 65–73. https://doi.org/10.1016/S0369-8114(01)00271-1

Wiechman, S. A. et Patterson, D. R. (2004). Psychosocial aspects of burn injuries. BMJ, 329(7462), 391-393. https://doi.org/10.1136/bmj.329.7462.391

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