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La croissance post-traumatique

 

Du traumatisme à la croissance post-traumatique

Le traumatisme peut être défini comme la confrontation à un événement ou à des circonstances défiant les ressources adaptatives d’un individu, et notamment, son système de compréhension du monde et de la place qu’il y occupe (Tedeschi et Calhoun, 2004). Ce système de compréhension s’inscrit dans le cadre des trois croyances fondamentales définies par Janoff-Bulman (1992). Ces croyances fondamentales qui structurent la perception du monde et de la vie d’un sujet sont :

  • la croyance en un monde bienveillant,
  • la croyance en un monde régi par le sens, c’est-à-dire une conjonction de logique, de justice, de mérite et de morale,
  • la croyance en sa propre valeur personnelle, protégeant l’individu d’événements tragiques. 

Ces trois croyances fondamentales constituent une défense contre l’anxiété que provoquerait le caractère aléatoire de l’occurrence d’événements aversifs. Or, de nombreuses expériences sont susceptibles de briser ces croyances fondamentales : catastrophe naturelle, guerre, agression sexuelle, maladie potentiellement mortelle, accident... Selon Tedeschi et al. (2018), toutes ces expériences ont un potentiel traumatogène mais ne sont qualifiées de traumatiques que lorsqu’elles anéantissent effectivement les croyances fondamentales du sujet.

Outre l’altération des croyances fondamentales, une expérience traumatique entraine une détresse émotionnelle (anxiété, tristesse, culpabilité, colère…), des dysfonctionnements cognitifs (sidération, déni, pensées intrusives…) et des réactions physiologique (tensions musculaires, douleurs, symptômes gastriques…). C’est dans l’adaptation aux expériences traumatiques et à leurs conséquences psychiques et physiques délétères que peut émerger la croissance post-traumatique (Tedeschi et Calhoun, 2004).

Manifestations de la croissance post-traumatique

La croissance post-traumatique se définit comme un changement psychologique positif chez les sujets ayant dû surmonter des événements de vie traumatiques (Tedeschi et Calhoun, 2004). Ce changement se manifeste dans cinq domaines (Tedeschi et al., 2018) :

1 - Une plus grande conscience de ses propres forces. Le sujet faisant preuve de croissance post-traumatique est plus lucide quant à sa vulnérabilité et quant à ses forces. Il développe sa confiance et se perçoit davantage comme un survivant que comme une victime.

2 - Des relations plus chaleureuses et plus profondes avec autrui. Une plus grande connexion, une plus grande compassion, une plus grande facilité à exprimer ses émotions, la capacité à accepter le soutien d’autrui sont des manifestations typiques de la croissance post-traumatique.

3 - Une reconnaissance de nouvelles possibilités de chemins de vie. Après un événement traumatique, l’individu peut être amené à changer de trajectoire, notamment professionnelle, et à développer de nouveaux centres d’intérêt. Ces nouveaux chemins de vie sont perçus par l’individu comme conférant plus de sens à son existence.

4 - Une plus grande appréciation de la vie. En voyant la vie comme un cadeau ou comme une deuxième chance, une personne ayant vécu un traumatisme apprécie davantage ce qui pouvait auparavant être perçu comme acquis.

5 - Un développement spirituel et existentiel. Après un événement traumatique, les réflexions spirituelles et/ou existentielles peuvent se développer sur des sujets tels que la vie, la mort, l’interconnexion aux autres, l’harmonie…

L’évolution dans ces cinq domaines est de l’ordre de la transformation de la vie du sujet dans ses dimensions cognitives, comportementales et émotionnelles (Tedeschi et al., 2018). 

Le processus de croissance post-traumatique

En brisant le système de croyances fondamentales, le traumatisme requiert de la part du sujet un investissement cognitif dans l’interprétation de l’événement traumatique. Ce processus est clé pour que puisse émerger la croissance post-traumatique. En effet, il est crucial de reconstruire un système de croyances dans lequel le traumatisme pourra s’intégrer de façon congruente (Tedeschi et al., 2018).

Cependant, l’effondrement des croyances fondamentales engendre une détresse émotionnelle. De ce fait, dans un premier temps, le processus cognitif d’interprétation des événements traumatiques prend la forme de ruminations intrusives et automatiques. L’individu doit donc développer des stratégies de régulation émotionnelle et de coping (Tedeschi et al., 2018).

Le sujet entre ensuite, en pleine conscience, dans un processus de ruminations délibérées (Tedeschi et Blevins, 2015), au travers desquelles il peut donner un sens au traumatisme et l’inscrire dans un schéma d’interprétation du monde adapté à son vécu expérientiel (Tedeschi et al., 2018).

Dans ce processus, Tedeschi et al. (2018) mentionnent le rôle de la divulgation du traumatisme et du soutien social. Exposer le traumatisme peut prendre des formes diverses : évocation orale auprès d’autrui, écriture d’un journal, d’un livre ou d’un blog, médiation artistique telle que danse ou musique... L’évocation du traumatisme joue un rôle important dans la croissance post-traumatique. Elle a pour effet de favoriser le processus cognitif de structuration narrative de l’événement et contribue ainsi à mieux le comprendre et à lui attribuer un sens (Tedeschi et al., 2018).

La divulgation à autrui permet également d’alléger la détresse émotionnelle associée à l’événement par le mécanisme du partage social des émotions (Rimé, 2015). Elle constitue à ce titre une forme de coping par recherche de soutien émotionnel. Et ce soutien social peut également jouer un rôle dans la modification des schémas interprétatifs du sujet : l’interlocuteur peut en effet proposer une lecture et une perspective différentes sur l’événement traumatique et son inscription dans un système de croyances fondamentales (Tedeschi et al., 2018).

À l’origine, le processus de croissance post-traumatique proposé par Tedeschi et al. (2018) a été étudié dans le cadre de son déroulement naturel, auprès de sujets parvenant à se développer au-delà de leur mode de fonctionnement initial après un événement aversif. Cependant, il est également possible de favoriser la croissance post-traumatique dans le cadre d’un dispositif interventionnel.

Interventions visant la croissance post-traumatique

Tedeschi et Moore (2020) proposent un modèle interventionnel dont l’objectif est de favoriser la croissance post-traumatique. Les auteurs insistent sur le fait qu’il ne s’agit pas de remplacer les thérapies actuelles mais plutôt d’en améliorer l’impact en y intégrant les dimensions de la croissance post-traumatique. En effet, les auteurs ne voient pas la diminution des symptômes post-traumatiques et la croissance post-traumatique comme les deux extrémités d’un continuum mais au contraire, comme deux buts à atteindre simultanément.

Tedeschi et Moore (2020) proposent cinq critères conférant à une intervention thérapeutique des vertus pour faire émerger la croissance post-traumatique. Ces critères sont communs à différentes formes de thérapies dont les auteurs soulignent qu’elles peuvent générer une croissance post-traumatique sans pour autant être centrées sur elle.

Les cinq éléments caractéristiques d’une intervention thérapeutique centrée sur la croissance post-traumatique sont les suivants.

1 - La psychoéducation sur les réponses aux événements traumatiques et sur la croissance post-traumatique. La particularité de la psychoéducation visant la croissance post-traumatique réside dans l’évocation de l’effondrement des croyances fondamentales conceptualisé par Janoff-Bulman (1992) (Tedeschi et Moore, 2020). Rappelons que cet effondrement, lié à l’incompatibilité entre l’événement traumatique et la croyance en sa propre invulnérabilité, en un monde régi par la logique et en la bienveillance d’autrui, provoque une crise existentielle. Dès lors, le processus de croissance post-traumatique requiert pour le sujet de reconsidérer ses croyances fondamentales de telle sorte qu’elles puissent accommoder l’événement traumatique (Tedeschi et al., 2018).

2 - Le développement de stratégies de régulation émotionnelle. La confrontation aux souvenirs traumatiques et à l’effondrement des croyances fondamentales peut générer de fortes réactions émotionnelles. Il convient donc d’aider le sujet à trouver et à développer les stratégies de régulation émotionnelle qui lui conviennent (Tedeschi et Moore, 2020).

3 - La divulgation. Une intervention visant une croissance post-traumatique doit faciliter le processus de divulgation de l’événement traumatique. Cependant, la seule évocation de l’événement traumatique n’est pas suffisante.

Pour que la divulgation soit constructive et induise une croissance post-traumatique, elle doit recouvrir plusieurs dimensions (Tedeschi et Moore, 2020). Le sujet doit explorer les implications du trauma sur ses croyances fondamentales. Ce processus passe notamment par l’exploration des ruminations intrusives (Tedeschi et al., 2018). Au fur et à mesure, le sujet peut déplacer le traumatisme de la place centrale qu’il occupe dans sa vie (Tedeschi et Moore, 2020). Ainsi, le traumatisme devient le catalyseur d’une modification en profondeur du système de croyances fondamentales.

L’exploration des ruminations intrusives peut se faire par l’écriture ou dans le partage avec autrui - thérapeute, réseau familial ou amical - (Tedeschi et al., 2018). Tedeschi et Moore (2020) ajoutent que la divulgation de l’événement traumatique à autrui, en dehors de la relation thérapeutique, est à encourager afin d’aider le sujet à sortir de l’isolement et de l’auto-stigmatisation dans lesquels le traumatisme peut l’enfermer. Tedeschi et al. (2018) attirent cependant l’attention des thérapeutes sur le risque de réponse potentiellement délétère de l’entourage.

4 - La narration. La construction d’un récit de vie cohérent est une condition du développement de la croissance post-traumatique. Ce récit inclut non seulement le passé, avec le traumatisme et ses conséquences, mais également une vision de l’avenir et des nouvelles possibilités ouvertes au sujet (Tedeschi et Moore, 2020). À ce stade, il est important de porter l’attention du sujet sur les conséquences de l’événement traumatique sur les cinq domaines de la croissance post-traumatique. Une réflexion dialectique sur les effets délétères et sur les bénéfices de l’événement traumatique est un point crucial dans cette étape narrative (Tedeschi et al., 2018).

5 - La mise au service d’autrui. À partir de la révision du récit de vie opérée dans la phase de narration, de nouvelles valeurs et de nouveaux principes de vie peuvent émerger (Tedeschi et al., 2018). Une intervention thérapeutique centrée sur la croissance post-traumatique encourage le sujet à utiliser les bénéfices retirés du traumatisme au profit d’autrui.

Cette mise au service d’autrui peut aller de l’amélioration des relations avec ses proches à des actions altruistes au profit de la communauté, en passant par la compassion pour d’autres personnes ayant vécu un événement traumatique (Tedeschi et al., 2018). Ainsi, la victime pourra considérer que le trauma n’a pas été vain tant au niveau personnel que social (Tedeschi et Moore, 2020).

Conclusion

La croissance post-traumatique constitue une trajectoire possible d’évolution d’une personne après un traumatisme. Elle se développe spontanément chez certains individus. Des interventions psychothérapeutiques ciblées permettent également de la faire émerger.

Cependant, la croissance post-traumatique n’est pas une nécessité. Il convient de la voir comme une possibilité après un traumatisme.

La temporalité de son émergence dépend pleinement du rythme d’intégration de l’événement traumatique par la personne qui en a été victime. Croissance post-traumatique et symptômes du Trouble de Stress Post-Traumatique peuvent même co-exister. Loin d’effacer le traumatisme, la croissance post-traumatique le transforme en une expérience positive pour mieux vivre avec son souvenir.

 

 

Références

Le présent article est une adaptation d’un extrait du Mémoire présenté par Dominique Rachel LEVY pour l’obtention du grade de Master 1 de Psychologie Clinique, Vulnérabilités et Développement du Psychotraumatisme : « L’écriture thérapeutique, vecteur de croissance post-traumatique ? Une revue de la littérature. » qui peut être téléchargé ici.

 

Janoff-Bulman, R. (1992). Shattered assumptions. Towards a new psychology of trauma. The Free Press.

Tedeschi, R.G. et Blevins, C.L. (2015). From mindfulness to meaning: Implications for the theory of posttraumatic growth. Psychological Inquiry, 26(4), 373-376. https://doi.org/10.1080/1047840X.2015.1075354

Tedeschi, R.G. et Calhoun, L.G. (2004). Posttraumatic Growth: Conceptual Foundations and Empirical Evidence. Psychological Inquiry: An International Journal for the Advancement of Psychological Inquiry, 15, 1-18. https://doi.org/10.1207/s15327965pli1501_01

Tedeschi, R.G. et Moore, B.A. (2020). Posttraumatic growth as an integrative therapeutic philosophy. Journal of Psychotherapy Integration. Advance online publication. https://doi.org/10.1037/int0000250

Tedeschi, R.G., Shakespeare-Finch, J., Taku, K. et Calhoun, L.G. (2018). Posttraumatic growth: Theory, research, and applications. Routledge.

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